Jeanne Badeau a commencé à représenter son époux, Pierre Parent, pour les contrats concernant la carrière Parent au début de la décennie 1670. Avec les années, son engagement dans la gestion de la carrière a pris de l’importance et au milieu des années 1680, elle signait tous les contrats de livraison de pierre et de chaux. Par exemple, à la suite de l'incendie survenu au mois d'octobre 1686 qui a détruit leur monastère, les Ursulines doivent rebâtir. Ainsi, « Reverende Mere Marie de Jesus Superieure des Dames Religieuses du monastere de Ste Ursule des Ursulines de Cette ville et Anne de Saint Agnes depositaire dudt monastere » signent avec Jeanne Badeau, dans le parloir extérieur de leur couvent, un contrat d'approvisionnement de pierres et de chaux pour des travaux de maçonnerie à faire effectuer à leur monastère. Jeanne promet de faire livrer, pendant l'été qui vient, toute la pierre et toute la chaux nécessaires. Les ursulines paieront les sommes de 100 sols pour chaque pipe de chaux, 24 livres pour chaque chaloupée de pierres de taille et de 17 livres pour chaque chaloupée de pierres communes. Jeanne accepte de recevoir les sommes dues moitié en argent et moitié en marchandises (1).
L’implication de Jeanne dans la conduite des affaires de la famille ne s’est pas limitée à l’exploitation de la carrière. En 1687, elle négocie les conditions d’apprentissage du triplet Jean qui souhaite apprendre le métier de maçon et devenir, éventuellement, entrepreneur d’ouvrages de maçonnerie. Le 11 avril 1687, elle s'entend avec Claude Baillif, le plus important architecte de Québec. Celui-ci accepte de prendre Jean Parent comme apprenti pour une période de cinq ans, Baillif s'engage à former le jeune homme dans les métiers liés à la construction. Il le nourrira et l'entretiendra pendant la durée du contrat. De plus, il lui versera une somme de 150 livres, une moitié en argent et une moitié en billets (2).
Le 17 janvier 1688, Jeanne négocie avec Marie-Madeleine Pelletier veuve de défunt Nicolas Cliche, serrurier. Elle loue leur maison située sur le rue de la Montagne pour son fils Joseph l’aîné. Pierre Parent ratifie le contrat le 21 janvier (3). Le 21 mars 1694, deux des triplets, Jean et Étienne Parent, achètent de Claude Baillif un emplacement de 20 pieds de front dans la Basse-Ville de Québec et leur mère accepte la vente au nom de ses fils encore mineurs et cautionne leur acquisition. (4). Trois jours plus tard, le notaire Duprac s'amène chez Pierre Parent qui ratifie l'acte d'achat (5).
Un contrat notarié rédigé au mois de décembre 1691 résume bien la situation de la famille Parent. Dans ce cas-ci, Jeanne Badeau vient en aide à son fils Michel et à son associé et beau-frère, Joseph Rancourt. Rancourt a épousé Marie Parent, veuve de David Corbin, le 5 février 1685. Dans ce contrat le notaire qualifie de ces mots Jeanne Badeau : « Jeanne Badault femme de Pierre Parent habitant de Beauport Laqdte femme declarant faire Et gerer leur affaire de leur communeauté». Michel et son beau-frère construiront une chaloupe (6).
Ces quelques cas ne représentent que la pointe de l'iceberg. Depuis le début de la décennie 1680, Jeanne est presque toujours celle qui parle au nom de la famille tant chez les notaires que devant les tribunaux. Les mots utilisés par le notaire Rageot en 1691 ne laissent pas de place à l’équivoque. À Québec et à Beauport, tous savent que Jeanne Badeau assume dorénavant la gestion des affaires de la famille Parent.
1. BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 4 février 1688.
2. BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 11 avril 1687.
3. BAnQ. Minutier de Gilles Rageot, le 17 janvier 1688.
4. BAnQ, Minutier de Louis Chambalon, le 21 mars 1694.
5. BAnQ, Minutier de Jean-Robert Duprac, le 24 mars 1694.
6. BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 12 décembre 1691.
vendredi 2 décembre 2011
vendredi 25 novembre 2011
Tourner un taureau
Les concitoyens de Pierre Parent apprécient son travail. Son expertise ne se limite pas à l’abattage d’animaux et au découpage des carcasses. En effet, parallèlement à son métier de boucher, Pierre est sollicité par ses concitoyens pour réaliser une opération d’un autre genre, soit tourner des taureaux. Il semble bien qu’on lui demande assez régulièrement de réaliser cette opération et cette activité lui rapporte un revenu d’appoint non négligeable.
Par exemple, à l’été 1677, le livre de comptes du Séminaire de Québec indique qu’on doit une somme de 30 livres à Pierre Parent pour avoir tourné 15 taureaux au cours de l’hiver et du printemps précédents. En 1678, ce même livre de comptes indique que Pierre leur doit une somme de 4 livres. Dans ce cas-ci, il s’agit de rembourser une somme d’argent payée en trop car, il n’a tourné que 5 taureaux au lieu de 7 comme il était prévu. D’après les chiffres rapportés, on peut calculer que, dans les années 1675 à 1683, Pierre exige une somme de 2 livres pour tourner un taureau.
Pierre n’est pas avare de ses connaissances et il a transmis son savoir à un de ses fils. Vers 1688, le meunier Pierre Simon dit Delorme fait appel aux services de la famille Parent. Le meunier est installé à la côte Saint-Michel, à Sillery, près de Québec. Dans son livre de comptes, il souligne qu’il a payé une somme de 30 sous au fils Parent pour avoir tourné son taureau. On ignore le prénom du fils Parent (1). Au mois d’août 1693, le livre de comptes du Séminaire de Québec indique que la ferme du moulin à scie du Séminaire de Québec a payé la somme de 9 livres à André Parent pour avoir tourné des taureaux; le nombre de bêtes n’est pas précisé.
Mais que signifie l’expression tourner un taureau ? Dans certaines régions de France, comme dans les anciennes provinces de l’ouest, particulièrement l’Aunis et la Saintonge, tourner est utilisé dans le sens de châtrer (2). Ce terme apparaît aussi dans l’est de la France, dans la Lorraine et la Franche-Comté, et dans le Centre. Comme Pierre Parent est vraisemblablement originaire de la Saintonge, il n’est pas étonnant que ce verbe soit utilisé d’après le sens qu’il lui connaît depuis toujours. Ce terme aurait franchi les ans car, au Québec, le dictionnaire Glossaire du parler français au Canada rapporte le terme « tourneux » qui définit une personne dont le métier consiste à châtrer les animaux (3).
1. Marcel Juneau et Claude Poirier, Le livre de comptes d’un meunier québécois (fin XVIIe – début XVIIIe siècle), Québec, Les Presses de l’université Laval, 1973, p. 32.
2. op. cit. p. 156.
3. Glossaire du parler français au Canada, Québec, Les Presses de l’université Laval, 1968.
Par exemple, à l’été 1677, le livre de comptes du Séminaire de Québec indique qu’on doit une somme de 30 livres à Pierre Parent pour avoir tourné 15 taureaux au cours de l’hiver et du printemps précédents. En 1678, ce même livre de comptes indique que Pierre leur doit une somme de 4 livres. Dans ce cas-ci, il s’agit de rembourser une somme d’argent payée en trop car, il n’a tourné que 5 taureaux au lieu de 7 comme il était prévu. D’après les chiffres rapportés, on peut calculer que, dans les années 1675 à 1683, Pierre exige une somme de 2 livres pour tourner un taureau.
Pierre n’est pas avare de ses connaissances et il a transmis son savoir à un de ses fils. Vers 1688, le meunier Pierre Simon dit Delorme fait appel aux services de la famille Parent. Le meunier est installé à la côte Saint-Michel, à Sillery, près de Québec. Dans son livre de comptes, il souligne qu’il a payé une somme de 30 sous au fils Parent pour avoir tourné son taureau. On ignore le prénom du fils Parent (1). Au mois d’août 1693, le livre de comptes du Séminaire de Québec indique que la ferme du moulin à scie du Séminaire de Québec a payé la somme de 9 livres à André Parent pour avoir tourné des taureaux; le nombre de bêtes n’est pas précisé.
Mais que signifie l’expression tourner un taureau ? Dans certaines régions de France, comme dans les anciennes provinces de l’ouest, particulièrement l’Aunis et la Saintonge, tourner est utilisé dans le sens de châtrer (2). Ce terme apparaît aussi dans l’est de la France, dans la Lorraine et la Franche-Comté, et dans le Centre. Comme Pierre Parent est vraisemblablement originaire de la Saintonge, il n’est pas étonnant que ce verbe soit utilisé d’après le sens qu’il lui connaît depuis toujours. Ce terme aurait franchi les ans car, au Québec, le dictionnaire Glossaire du parler français au Canada rapporte le terme « tourneux » qui définit une personne dont le métier consiste à châtrer les animaux (3).
1. Marcel Juneau et Claude Poirier, Le livre de comptes d’un meunier québécois (fin XVIIe – début XVIIIe siècle), Québec, Les Presses de l’université Laval, 1973, p. 32.
2. op. cit. p. 156.
3. Glossaire du parler français au Canada, Québec, Les Presses de l’université Laval, 1968.
vendredi 18 novembre 2011
Boucher de père en fils
Deux des fils de Pierre Parent vont pratiquer le métier de boucher : Jacques, le fils aîné, et André.
Jacques exerce cette profession pendant quelques années au milieu de la décennie 1680. En effet, au mois d’avril 1685, avec Germain Langlois, habitant du Bourg-Royal et ancien domestique de Pierre Parent, Jacques Parent forme une société pour exploiter une boucherie. Le travail en association est bien établi chez les bouchers de Québec, et on peut souligner que Pierre Parent fut l’un des premiers à amener cette façon de faire dans cette confrérie. L’association entre Jacques et Germain Langlois débute le jour de Pâques 1685 pour une durée d’un an. Chaque mois, ils examinent la situation financière de leur commerce et se rendent mutuellement des comptes sur le bon fonctionnement de leur boucherie sur le plan tant de l’achat des bestiaux que des frais liés à une telle exploitation. Les deux associés investissent chacun une somme de 100 livres pour démarrer la société en effectuant un achat de bestiaux (1).
Comme beaucoup de nouveaux commerçants, les deux associés manquent d’argent pour lancer leur entreprise. Ainsi, la même journée, pour remédier à cette situation, ils signent un pacte avec Jacques Defay, marchand de Québec. Ce dernier promet de leur fournir, en billets payables en marchandises, jusqu'à concurrence de 300 livres pour leur permettre d’acheter des bestiaux afin d’assurer le bon fonctionnement de leur boucherie. Les deux bouchers rembourseront le prêt en trois versements : le premier au mois d’août suivant, le deuxième au début du mois d’octobre et le dernier à Pâques de l’année suivante (2).
Leur nouvelle carrière débute sur une bonne note, car les deux nouveaux bouchers obtiennent un contrat de fourniture de viande de bœuf avec l’hôpital l’Hôtel-Dieu de Québec. Habituellement, l’Hôtel-Dieu achète directement les animaux de boucherie auprès des habitants. Occasionnellement, il fait appel aux services des bouchers de la ville pendant les chaudes périodes de l’été où la viande se conserve difficilement. À certains moments, les religieuses doivent écouler un surplus de viande qu’elles perdraient de toute façon et, pour ce faire, elles ont recours aux bouchers. Ainsi, de 1685 jusqu’au 11 mars 1686, Jacques Parent et Germain Langlois fournissent 2950 livres de viande de bœuf et 58 livres de suif fondu. En 1686, ils vendent 1480 livres de bœuf et trois quartiers de mouton (3).
Bien qu’ils soient favorisés par ce contrat avec l’Hôtel-Dieu, les deux bouchers souffrent d’un manque de numéraire. Pour mener à bien leur projet de boucherie, il faut acheter des bêtes à cornes et toutes les rentrées d’argent sont bienvenues. Ainsi, Jacques accepte avec satisfaction la somme d’argent que sa belle-mère avait promis de verser d’après les clauses de son contrat de mariage. Au mois de janvier 1686, Jacques Parent reconnaît avoir reçu une somme de 157 livres « en deduction de la somme de deux cent cinquante livres porté en son contract de mariage d’entre luy et LouiSe chavalier sa femme ». Jeanne Langlois, veuve de René Chevalier, donne une quittance à son gendre (4). Finalement, après quelques années de vaillants efforts, Jacques abandonne ce métier à la fin de la décennie 1680.
Encouragé par le savoir-faire de son père et de son frère, André Parent s’essaie à ce métier au cours de la même période. Ainsi, à l’été 1686, une transaction nous en informe. Pierre Lemoine, habitant de Batiscan, vend un bœuf à André Parent, maître boucher de Québec, pour une somme de 61 livres « le tout payable quinze livres en argent escu et le restant en marchandises et le tout vers le mois d’aoust audt vendeur ou a son ordre (5) ». En 1687, quand François Genaple se rend faire le procès-verbal d’alignement de la propriété d’André par rapport à celles de ses voisins, on précise qu’il pratique le métier de boucher.
Vers 1688 – il est impossible, malheureusement, d’être plus précis – , le meunier Pierre Simon dit Delorme fait appel aux services de la famille Parent. Le meunier est installé à la côte Saint-Michel, à Sillery, près de Québec. Dans son livre de comptes, il souligne qu’il a payé une somme de 30 sous au fils Parent pour avoir « tourné son taureau » (6). (L’explication de cette expression fera l’objet du prochain commentaire). La monnaie connue sous le nom de sou correspond à une pièce de cuivre qui vaut 12 deniers, soit l’équivalent d’un sol. On ignore le prénom du fils Parent, mais il peut vraisemblablement s’agir d’André. Au mois d’août 1693, le livre de comptes du séminaire de Québec indique que la ferme du moulin à scie du séminaire de Québec a payé la somme de 9 livres à André Parent pour avoir tourné des taureaux; le nombre de bêtes n’est pas précisé (7). Sa vie durant, André pratiquera sporadiquement le métier de boucher.
1. BAnQ. Minutier de Gilles Rageot, le 9 avril 1685.
2. BAnQ. Minutier de François Genaple, le 9 avril 1685.
3. François Rousseau, L’œuvre de chère en Nouvelle-France. Le régime des malades à l’Hôtel-Dieu de Québec, Québec, Les Cahiers d’histoire de l’Université Laval, no 29, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1983, p. 135-136.
4. BAnQ. Minutier de Paul Vachon, le 18 janvier 1686.
5. BAnQ. Minutier de Claude Maugue, le 24 juin 1686.
6. Marcel Juneau et Claude Poirier, Le livre de comptes d’un meunier québécois (fin XVIIe – début XVIIIe siècle), Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1973, p. 32.
7. Ibid., p. 156.
Jacques exerce cette profession pendant quelques années au milieu de la décennie 1680. En effet, au mois d’avril 1685, avec Germain Langlois, habitant du Bourg-Royal et ancien domestique de Pierre Parent, Jacques Parent forme une société pour exploiter une boucherie. Le travail en association est bien établi chez les bouchers de Québec, et on peut souligner que Pierre Parent fut l’un des premiers à amener cette façon de faire dans cette confrérie. L’association entre Jacques et Germain Langlois débute le jour de Pâques 1685 pour une durée d’un an. Chaque mois, ils examinent la situation financière de leur commerce et se rendent mutuellement des comptes sur le bon fonctionnement de leur boucherie sur le plan tant de l’achat des bestiaux que des frais liés à une telle exploitation. Les deux associés investissent chacun une somme de 100 livres pour démarrer la société en effectuant un achat de bestiaux (1).
Comme beaucoup de nouveaux commerçants, les deux associés manquent d’argent pour lancer leur entreprise. Ainsi, la même journée, pour remédier à cette situation, ils signent un pacte avec Jacques Defay, marchand de Québec. Ce dernier promet de leur fournir, en billets payables en marchandises, jusqu'à concurrence de 300 livres pour leur permettre d’acheter des bestiaux afin d’assurer le bon fonctionnement de leur boucherie. Les deux bouchers rembourseront le prêt en trois versements : le premier au mois d’août suivant, le deuxième au début du mois d’octobre et le dernier à Pâques de l’année suivante (2).
Leur nouvelle carrière débute sur une bonne note, car les deux nouveaux bouchers obtiennent un contrat de fourniture de viande de bœuf avec l’hôpital l’Hôtel-Dieu de Québec. Habituellement, l’Hôtel-Dieu achète directement les animaux de boucherie auprès des habitants. Occasionnellement, il fait appel aux services des bouchers de la ville pendant les chaudes périodes de l’été où la viande se conserve difficilement. À certains moments, les religieuses doivent écouler un surplus de viande qu’elles perdraient de toute façon et, pour ce faire, elles ont recours aux bouchers. Ainsi, de 1685 jusqu’au 11 mars 1686, Jacques Parent et Germain Langlois fournissent 2950 livres de viande de bœuf et 58 livres de suif fondu. En 1686, ils vendent 1480 livres de bœuf et trois quartiers de mouton (3).
Bien qu’ils soient favorisés par ce contrat avec l’Hôtel-Dieu, les deux bouchers souffrent d’un manque de numéraire. Pour mener à bien leur projet de boucherie, il faut acheter des bêtes à cornes et toutes les rentrées d’argent sont bienvenues. Ainsi, Jacques accepte avec satisfaction la somme d’argent que sa belle-mère avait promis de verser d’après les clauses de son contrat de mariage. Au mois de janvier 1686, Jacques Parent reconnaît avoir reçu une somme de 157 livres « en deduction de la somme de deux cent cinquante livres porté en son contract de mariage d’entre luy et LouiSe chavalier sa femme ». Jeanne Langlois, veuve de René Chevalier, donne une quittance à son gendre (4). Finalement, après quelques années de vaillants efforts, Jacques abandonne ce métier à la fin de la décennie 1680.
Encouragé par le savoir-faire de son père et de son frère, André Parent s’essaie à ce métier au cours de la même période. Ainsi, à l’été 1686, une transaction nous en informe. Pierre Lemoine, habitant de Batiscan, vend un bœuf à André Parent, maître boucher de Québec, pour une somme de 61 livres « le tout payable quinze livres en argent escu et le restant en marchandises et le tout vers le mois d’aoust audt vendeur ou a son ordre (5) ». En 1687, quand François Genaple se rend faire le procès-verbal d’alignement de la propriété d’André par rapport à celles de ses voisins, on précise qu’il pratique le métier de boucher.
Vers 1688 – il est impossible, malheureusement, d’être plus précis – , le meunier Pierre Simon dit Delorme fait appel aux services de la famille Parent. Le meunier est installé à la côte Saint-Michel, à Sillery, près de Québec. Dans son livre de comptes, il souligne qu’il a payé une somme de 30 sous au fils Parent pour avoir « tourné son taureau » (6). (L’explication de cette expression fera l’objet du prochain commentaire). La monnaie connue sous le nom de sou correspond à une pièce de cuivre qui vaut 12 deniers, soit l’équivalent d’un sol. On ignore le prénom du fils Parent, mais il peut vraisemblablement s’agir d’André. Au mois d’août 1693, le livre de comptes du séminaire de Québec indique que la ferme du moulin à scie du séminaire de Québec a payé la somme de 9 livres à André Parent pour avoir tourné des taureaux; le nombre de bêtes n’est pas précisé (7). Sa vie durant, André pratiquera sporadiquement le métier de boucher.
1. BAnQ. Minutier de Gilles Rageot, le 9 avril 1685.
2. BAnQ. Minutier de François Genaple, le 9 avril 1685.
3. François Rousseau, L’œuvre de chère en Nouvelle-France. Le régime des malades à l’Hôtel-Dieu de Québec, Québec, Les Cahiers d’histoire de l’Université Laval, no 29, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1983, p. 135-136.
4. BAnQ. Minutier de Paul Vachon, le 18 janvier 1686.
5. BAnQ. Minutier de Claude Maugue, le 24 juin 1686.
6. Marcel Juneau et Claude Poirier, Le livre de comptes d’un meunier québécois (fin XVIIe – début XVIIIe siècle), Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1973, p. 32.
7. Ibid., p. 156.
vendredi 11 novembre 2011
Jeanne Badeau et sa mère se fâchent
En cet après-midi du 25 mars 1667, François Allard, engagé d’Anne Ardouin, la veuve de Jacques Badeau, a invité ses amis à venir chez sa patronne pour boire de l’eau-de-vie. Ses amis sont les engagés de des voisins. Ainsi, Germain Langlois, engagé de Pierre Parent, Pierre Dumesnil, engagé du seigneur de Beauport, Robert Giffard, se retrouvent, avec d'autres dont Denis Avisse et Mathurin Cardin, sirotant l’alcool fourni par Allard et discutant à bâtons rompus. Dumesnil est présent car Allard lui doit de l’argent et c’est de cette façon qu’il rembourse sa dette.
À un certain moment, on en vient à parler des cochons qui se promènent en toute liberté et qui vont dans les prairies de la commune du seigneur de Beauport mangeant parfois des récoltes. Langlois apostrophe Dumesnil. Il lui rappelle que l’automne dernier, il avait chassé sans ménagement les cochons appartenant à Pierre Parent qui s’étaient aventurés sur les terres du seigneur de Beauport, l’accusant même d’en avoir tué un. Dumesnil réplique à Langlois et le ton monte. On en vient aux coups. Au même moment, Anne Ardouin, revenant de la grange où elle avait nourri ses animaux, entre dans sa maison. Voyant la scène, elle décide d’intervenir. C’est la bousculade. Tout ce vacarme alerte sa voisine qui demeure tout près; il s’agit de sa fille Jeanne Badeau. Inquiète, elle se rend chez sa mère armée de son balai. Arrivant sur les lieux, elle n’hésite pas. Jeanne donne quelques coups de bâton à Dumesnil avec « un baSton gros comme le poulce » et Anne Ardouin le gifle. Dumesnil quitte les lieux et se rend immédiatement au manoir de son maître qui est absent. L’épouse de Giffard rabroue son domestique,
Furieux, celui-ci choisit de porter l’affaire devant les tribunaux. Le tribunal seigneurial a condamné sévèrement Germain Langlois, Anne Ardouin, veuve de Jacques Badeau, et sa fille Jeanne Badeau. Ils portent en appel un jugement rendu contre eux, le 3 mai 1667, à la suite de la plainte émise par Pierre Dumesnil. L’appel des défendeurs, devant le tribunal de la prévôté de Québec, est entendu le 30 juin.
Racontant les faits au juge de la prévôté, Pierre Dumesnil affirme avoir été maltraité par Germain Langlois, Anne Ardouin et sa fille Jeanne à la suite d'une querelle concernant la liberté de laisser aller leurs cochons sur la grève comme le veut la Coutume de Paris, selon leurs prétentions. Le domestique explique que son maître lui avait ordonné de chasser les cochons de ses prairies qui ont été défrichées au-dessus de la marée. Ces prairies sont clôturées, les grains protégés des animaux et les bêtes ne peuvent y aller. Bien qu'il ait voulu défendre la propriété de son maître, Dumesnil ajoute que Giffard n'a pris et n'a voulu prendre aucun intérêt dans cette affaire.
La querelle finie, Dumesnil « Se Seroit retiré Sans autre blessure que d’avoir le nez plein de sang Et un petit coup contre l’œil por sestre coigné contre la Cheminée ». Comme Pierre Dumesnil « n’a point Esté Incommodé pour quitter Ses travaux ordinaires » le juge annule la condamnation précédente envers Germain Langlois, Anne Ardouin et Jeanne Badeau, sa fille. La sentence du 3 mars 1667 était lourde conséquences, En effet, les accusés devaient aller demander pardon à genoux au sieur Robert Giffard et payer 129 livres de dépens et intérêts civils. Au lieu de cela, le juge de la prévôté les condamne ensemble à 20 livres d'amende, soit moitié aux pauvres de l'hôpital et moitié à Dumesnil.
Rappelons qu’en ce 25 mars 1667, Jeanne Badeau est enceinte de près de neuf mois. Elle accouchera le 29 mars de son sixième enfant.
Pour lire le jugement du 30 juin 1667 dans son intégralité, voir la transcription réalisée par Guy Perron (1).
1. Guy Perron, La Prévôté de Québec, transcription des volumes 1 et 2 (registres civils), 2 septembre 1666 au 26 octobre 1668, tome I, Longueil, Les éditions historiques et généalogiques Pépin, collection « Notre patrimoine national » no 220, 2002. p. 80.
À un certain moment, on en vient à parler des cochons qui se promènent en toute liberté et qui vont dans les prairies de la commune du seigneur de Beauport mangeant parfois des récoltes. Langlois apostrophe Dumesnil. Il lui rappelle que l’automne dernier, il avait chassé sans ménagement les cochons appartenant à Pierre Parent qui s’étaient aventurés sur les terres du seigneur de Beauport, l’accusant même d’en avoir tué un. Dumesnil réplique à Langlois et le ton monte. On en vient aux coups. Au même moment, Anne Ardouin, revenant de la grange où elle avait nourri ses animaux, entre dans sa maison. Voyant la scène, elle décide d’intervenir. C’est la bousculade. Tout ce vacarme alerte sa voisine qui demeure tout près; il s’agit de sa fille Jeanne Badeau. Inquiète, elle se rend chez sa mère armée de son balai. Arrivant sur les lieux, elle n’hésite pas. Jeanne donne quelques coups de bâton à Dumesnil avec « un baSton gros comme le poulce » et Anne Ardouin le gifle. Dumesnil quitte les lieux et se rend immédiatement au manoir de son maître qui est absent. L’épouse de Giffard rabroue son domestique,
Furieux, celui-ci choisit de porter l’affaire devant les tribunaux. Le tribunal seigneurial a condamné sévèrement Germain Langlois, Anne Ardouin, veuve de Jacques Badeau, et sa fille Jeanne Badeau. Ils portent en appel un jugement rendu contre eux, le 3 mai 1667, à la suite de la plainte émise par Pierre Dumesnil. L’appel des défendeurs, devant le tribunal de la prévôté de Québec, est entendu le 30 juin.
Racontant les faits au juge de la prévôté, Pierre Dumesnil affirme avoir été maltraité par Germain Langlois, Anne Ardouin et sa fille Jeanne à la suite d'une querelle concernant la liberté de laisser aller leurs cochons sur la grève comme le veut la Coutume de Paris, selon leurs prétentions. Le domestique explique que son maître lui avait ordonné de chasser les cochons de ses prairies qui ont été défrichées au-dessus de la marée. Ces prairies sont clôturées, les grains protégés des animaux et les bêtes ne peuvent y aller. Bien qu'il ait voulu défendre la propriété de son maître, Dumesnil ajoute que Giffard n'a pris et n'a voulu prendre aucun intérêt dans cette affaire.
La querelle finie, Dumesnil « Se Seroit retiré Sans autre blessure que d’avoir le nez plein de sang Et un petit coup contre l’œil por sestre coigné contre la Cheminée ». Comme Pierre Dumesnil « n’a point Esté Incommodé pour quitter Ses travaux ordinaires » le juge annule la condamnation précédente envers Germain Langlois, Anne Ardouin et Jeanne Badeau, sa fille. La sentence du 3 mars 1667 était lourde conséquences, En effet, les accusés devaient aller demander pardon à genoux au sieur Robert Giffard et payer 129 livres de dépens et intérêts civils. Au lieu de cela, le juge de la prévôté les condamne ensemble à 20 livres d'amende, soit moitié aux pauvres de l'hôpital et moitié à Dumesnil.
Rappelons qu’en ce 25 mars 1667, Jeanne Badeau est enceinte de près de neuf mois. Elle accouchera le 29 mars de son sixième enfant.
1. Guy Perron, La Prévôté de Québec, transcription des volumes 1 et 2 (registres civils), 2 septembre 1666 au 26 octobre 1668, tome I, Longueil, Les éditions historiques et généalogiques Pépin, collection « Notre patrimoine national » no 220, 2002. p. 80.
vendredi 4 novembre 2011
La maison de la rue Sault-au-Matelot
Au mois de mars 1672, Pierre Parent et Michel Lecourt, marchand et boucher demeurant à Beauport, décident de travailler en association. Leur partenariat se renforce par l'achat d'un terrain à la Basse-Ville de Québec. Jean Dedouyt, prêtre du séminaire de Québec et représentant les marguilliers de la paroisse de L'Ange-Gardien sur la côte de Beaupré, leur vend un emplacement situé au bas du « Sault au Mathelot » de 25 pieds par 48 pieds pour une somme de 300 livres payable en deux versements de 150 livres chacun, à faire aux deux prochaines fêtes de la Saint-Jean-Baptiste (1).
En se lançant dans un tel projet, les deux associés s'engagent dans une ère de développement de leurs commerces. Parent et Lecourt voient grand. Ils veulent construire une maison rue Sault-au-Matelot. À l'automne 1672, ils se considèrent prêts à passer à l'action. Lecourt se rend chez le notaire Rageot en compagnie de Jeanne Badeau; Pierre est absent. Ils engagent Jean Langlois, charpentier de Québec. Celui-ci construira sur leur terrain une maison de 20 pieds de largueur « de dedans en dedans » et de 25 pieds « de dehors en dehors », avec des poutres installées de telle sorte qu'on pourra éventuellement construire une galerie. Chaque mur aura une épaisseur de deux pieds et demie. La carrière Parent et Lecourt fournira la pierre et la chaux pour l'érection des murs.
Les travaux de Langlois, pour lesquels il recevra une somme de 200 livres plus 6 litres de vin du marché, devront être terminés à la fin du mois de juin 1673 (2). La présence de Jeanne Badeau à la signature de ce contrat montre bien le rôle de premier plan qu'elle joue dans la gestion des affaires de la famille, et cet état de fait ne fera que s'amplifier dans les années suivantes. Lecourt quitte Québec en 1678. Pierre est maintenant le seul propriétaire de la maison.
Le 18 avril 1681, en association avec son voisin Antoine Caddé, la maison de la rue Sault-au-Matelot subit une transformation. Les deux voisins fourniront tous les matériaux nécessaires pour édifier, en maçonnerie, un pignon qui reliera leur maison respective, et feront ériger un mur mitoyen. Cette nouvelle construction comprendra quatre cheminées, deux du côté de Pierre Parent et deux du côté d'Antoine Caddé (3).
La maison de Québec détruite par un incendie
En 1688, un incendie a détruit la maison Parent située rue Sault-au-Matelot. Ce renseignement provient de deux jugements : le premier devant le tribunal de la Prévôté de Québec et le second devant celui du Conseil souverain. Le 22 décembre 1688, Pierre Parent, demandeur, se présente au tribunal de la Prévôté face au locataire de sa maison de la Basse-Ville, Joseph Prieur. Prieur doit se défendre : il déclare que « […] Sy la maison quil avoit Loüé du demandeur a esté Incendiée Il n y a point Eu de sa faute […] ». La sentence tombe, lourde d'impact. Elle condamne Prieur à payer au demandeur la valeur de la maison incendiée (4). Prieur en appelle de la sentence devant le Conseil souverain. Dans la cause du 31 janvier 1689, le Conseil souverain, considérant le fait que Pierre a pu récupérer les madriers, les planches et tout ce qui peut avoir été sauvé de la dite maison incendiée, tempère le premier jugement rendu en décembre dernier. Finalement, Prieur est condamné à ne payer qu'une somme de 120 livres (5).
Auparavant cette maison avait été louée à Pierre Desmaisons, tailleur de pierres et maçon, comme nous l'apprend un jugement formulé par la Prévôté de Québec le 11 août 1688 dans lequel le juge lui ordonne de payer la somme de 12 livres et 10 sols pour le loyer de la maison Parent (6). Donc, entre le 11 août et le 14 novembre 1688, date de signature d’un contrat de construction avec Guillaume Jourdain (7), un incendie a détruit la maison du couple Parent-Badeau.
La construction de la nouvelle maison est confiée à Guillaume Jourdain. Le couple Parent-Badeau trouve la charge financière qui y est associée trop lourde. À l'automne 1689, une entente est négociée avec un partenaire, Étienne Charest, tanneur, qui demeure dans la seigneurie de Lauzon. Jeanne Badeau, au nom de son mari, cède « La moytié du pignon d une maison quelle fait construire dans cette ville », rue du Sault-au-Matelot, pour une somme correspondant à la moitié du coût de construction. De plus, Charest donnera 90 livres à Jeanne pour qu'elle fasse ériger par son maçon deux cheminées au-dessus d'un porche que Charest va faire construire dans une ruelle avoisinante et 60 livres pour la pierre de taille nécessaire pour les jambages des cheminées (8).
Au cours des années 1690 et 1700, Pierre Parent et Jeanne Badeau louent cette maison. Les héritiers de Pierre Parent et Jeanne Badeau demeurent propriétaires de la maison jusqu'en 1712. Au mois de juillet de cette année-là, ils la vendent à leur locataire, Jean Duprat, moyennant une somme de 8 600 livres (9). Duprat, maître boulanger, meurt le 19 octobre 1717. Sa veuve, Élisabeth Marchand, se remarie avec Jean Aubin Delisle le 17 septembre 1719, à Québec. À la suite du décès de la dame Marchand le 7 mars 1726, Aubin Delisle procède à l'inventaire des biens de leur communauté dans lequel on trouve une description de la maison de la rue Sault-au-Matelot. Le notaire Barbel écrit qu'il s'agit d'un emplacement qui mesure 40 pieds de front par 56 pieds et demi de profondeur sur lequel est érigé une maison de pierre à trois étages avec une largeur de 30 pieds sur la rue et une profondeur de 40 pieds (10).
D’après mes recherches, cet emplacement serait aujourd’hui occupé par l’Hôtel 71.
(1) BAnQ, Minutier de Romain Becquet, le 27 mars 1672.
(2) BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 20 octobre 1672
(3) BAnQ, Minutier de Michel Fillion, le 18 avril 1681.
(4) BAnQ, La Prévôté de Québec (registres civils), vol. 25, folio 177v.
(5) JDCS, vol. III, 1887, p. 289-290.
(6) BAnQ, La Prévôté de Québec (registres civils), vol. 25, folio 60r.
(7) BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 14 novembre 1688.
(8) BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 4 octobre 1689.
(9) BAnQ, Minutier de Florent Lacetière, le 17 juillet 1712.
(10) BAnQ, Minutier de Jacques Barbel, le 6 avril 1726.
En se lançant dans un tel projet, les deux associés s'engagent dans une ère de développement de leurs commerces. Parent et Lecourt voient grand. Ils veulent construire une maison rue Sault-au-Matelot. À l'automne 1672, ils se considèrent prêts à passer à l'action. Lecourt se rend chez le notaire Rageot en compagnie de Jeanne Badeau; Pierre est absent. Ils engagent Jean Langlois, charpentier de Québec. Celui-ci construira sur leur terrain une maison de 20 pieds de largueur « de dedans en dedans » et de 25 pieds « de dehors en dehors », avec des poutres installées de telle sorte qu'on pourra éventuellement construire une galerie. Chaque mur aura une épaisseur de deux pieds et demie. La carrière Parent et Lecourt fournira la pierre et la chaux pour l'érection des murs.
Les travaux de Langlois, pour lesquels il recevra une somme de 200 livres plus 6 litres de vin du marché, devront être terminés à la fin du mois de juin 1673 (2). La présence de Jeanne Badeau à la signature de ce contrat montre bien le rôle de premier plan qu'elle joue dans la gestion des affaires de la famille, et cet état de fait ne fera que s'amplifier dans les années suivantes. Lecourt quitte Québec en 1678. Pierre est maintenant le seul propriétaire de la maison.
Le 18 avril 1681, en association avec son voisin Antoine Caddé, la maison de la rue Sault-au-Matelot subit une transformation. Les deux voisins fourniront tous les matériaux nécessaires pour édifier, en maçonnerie, un pignon qui reliera leur maison respective, et feront ériger un mur mitoyen. Cette nouvelle construction comprendra quatre cheminées, deux du côté de Pierre Parent et deux du côté d'Antoine Caddé (3).
La maison de Québec détruite par un incendie
En 1688, un incendie a détruit la maison Parent située rue Sault-au-Matelot. Ce renseignement provient de deux jugements : le premier devant le tribunal de la Prévôté de Québec et le second devant celui du Conseil souverain. Le 22 décembre 1688, Pierre Parent, demandeur, se présente au tribunal de la Prévôté face au locataire de sa maison de la Basse-Ville, Joseph Prieur. Prieur doit se défendre : il déclare que « […] Sy la maison quil avoit Loüé du demandeur a esté Incendiée Il n y a point Eu de sa faute […] ». La sentence tombe, lourde d'impact. Elle condamne Prieur à payer au demandeur la valeur de la maison incendiée (4). Prieur en appelle de la sentence devant le Conseil souverain. Dans la cause du 31 janvier 1689, le Conseil souverain, considérant le fait que Pierre a pu récupérer les madriers, les planches et tout ce qui peut avoir été sauvé de la dite maison incendiée, tempère le premier jugement rendu en décembre dernier. Finalement, Prieur est condamné à ne payer qu'une somme de 120 livres (5).
Auparavant cette maison avait été louée à Pierre Desmaisons, tailleur de pierres et maçon, comme nous l'apprend un jugement formulé par la Prévôté de Québec le 11 août 1688 dans lequel le juge lui ordonne de payer la somme de 12 livres et 10 sols pour le loyer de la maison Parent (6). Donc, entre le 11 août et le 14 novembre 1688, date de signature d’un contrat de construction avec Guillaume Jourdain (7), un incendie a détruit la maison du couple Parent-Badeau.
La construction de la nouvelle maison est confiée à Guillaume Jourdain. Le couple Parent-Badeau trouve la charge financière qui y est associée trop lourde. À l'automne 1689, une entente est négociée avec un partenaire, Étienne Charest, tanneur, qui demeure dans la seigneurie de Lauzon. Jeanne Badeau, au nom de son mari, cède « La moytié du pignon d une maison quelle fait construire dans cette ville », rue du Sault-au-Matelot, pour une somme correspondant à la moitié du coût de construction. De plus, Charest donnera 90 livres à Jeanne pour qu'elle fasse ériger par son maçon deux cheminées au-dessus d'un porche que Charest va faire construire dans une ruelle avoisinante et 60 livres pour la pierre de taille nécessaire pour les jambages des cheminées (8).
Au cours des années 1690 et 1700, Pierre Parent et Jeanne Badeau louent cette maison. Les héritiers de Pierre Parent et Jeanne Badeau demeurent propriétaires de la maison jusqu'en 1712. Au mois de juillet de cette année-là, ils la vendent à leur locataire, Jean Duprat, moyennant une somme de 8 600 livres (9). Duprat, maître boulanger, meurt le 19 octobre 1717. Sa veuve, Élisabeth Marchand, se remarie avec Jean Aubin Delisle le 17 septembre 1719, à Québec. À la suite du décès de la dame Marchand le 7 mars 1726, Aubin Delisle procède à l'inventaire des biens de leur communauté dans lequel on trouve une description de la maison de la rue Sault-au-Matelot. Le notaire Barbel écrit qu'il s'agit d'un emplacement qui mesure 40 pieds de front par 56 pieds et demi de profondeur sur lequel est érigé une maison de pierre à trois étages avec une largeur de 30 pieds sur la rue et une profondeur de 40 pieds (10).
D’après mes recherches, cet emplacement serait aujourd’hui occupé par l’Hôtel 71.
(1) BAnQ, Minutier de Romain Becquet, le 27 mars 1672.
(2) BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 20 octobre 1672
(3) BAnQ, Minutier de Michel Fillion, le 18 avril 1681.
(4) BAnQ, La Prévôté de Québec (registres civils), vol. 25, folio 177v.
(5) JDCS, vol. III, 1887, p. 289-290.
(6) BAnQ, La Prévôté de Québec (registres civils), vol. 25, folio 60r.
(7) BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 14 novembre 1688.
(8) BAnQ, Minutier de Gilles Rageot, le 4 octobre 1689.
(9) BAnQ, Minutier de Florent Lacetière, le 17 juillet 1712.
(10) BAnQ, Minutier de Jacques Barbel, le 6 avril 1726.
vendredi 28 octobre 2011
Le tremblement de terre de 1663
Le début de l'année 1663 en Nouvelle-France demeure mémorable pour une très bonne raison : c'est l'année du tremblement de terre qui modifie substantiellement le paysage de la région. On le qualifie d'extraordinaire. La secousse sismique ébranle toute la vallée du Saint-Laurent. Il est difficile d'en évaluer l'intensité mais les témoins de l'époque rapportent un phénomène d'importance.
La crainte provoquée par les secousses sismiques réveille sûrement des dévotions oubliées chez bien des habitants, car Pierre, en cette année 1663, fait un don de 40 sols à l'église de Sainte-Anne-de-Beaupré, comme le montre le registre de «l'Estat des dons et oblations faicts à l'Eglise de Ste Anne du petit Cap en L'annee 1663 ». Il s'agit d'un don qui se situe dans la moyenne des sommes rapportées par le registre de cette église (2).
D’autres phénomènes extraordinaires ont été observés en Nouvelle-France en 1663. Le père Lallemant, le rédacteur des Relations des jésuites, écrivait que, le 7 et le 14 janvier, trois soleils était apparus dans le ciel et que ce spectacle avait duré près de deux heures.
1. Relations des Jésuites 1656-1665 contenant ce qui s’est passé de plus remarquable dans les missions des Pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, tome 5, Montréal, Éditions du Jour, 1972, année 1663, p. 3-5.
2. Rapport des Archives du Québec, tome 45, Québec, 1968, p. 183.
Extrait des Relations de Jésuites (1)
Ce fut le cinquiéme Fevrier 1663. sur les cinq heures & demie du soir, qu'un grand brouïssement s'entendit en mesme temps dans toute l'estenduë du Canadas […]. On fut bien surpris de voir les Murailles se balancer, & toutes les pierres se remüer, comme si elles se fussent détachées […] la terre bondissoit faisant danser les pieux des palissades d'une façon qui ne paroissoit pas croyable […].
[…] L’on voit de nouveaux lacs où il n’y en eut jamais; on ne voit plus certaines montagnes qui sont engouffrées; plusieurs saults sont applanis; plusieurs rivières ne paroissent plus; la terre s’est fendue en bien des endroits, et a ouvert des précipices dont on ne trouve point le fond enfin, il s’est fait une telle confusion de bois renversez et abysmez, qu’on voit à présent des campagnes de plus de mille arpents toutes rases. Et comme si elles estoient tout fraîchement labourées, là où peu auparavant il n’y avoit que des forests[…]
Ce Tremble-Terre tres remarquable […] ayant continué iusques dans le mois d'Aoust, c'est à dire plus de six mois : il est vray que les secousses n'estoient pas toujours également rudes.
La crainte provoquée par les secousses sismiques réveille sûrement des dévotions oubliées chez bien des habitants, car Pierre, en cette année 1663, fait un don de 40 sols à l'église de Sainte-Anne-de-Beaupré, comme le montre le registre de «l'Estat des dons et oblations faicts à l'Eglise de Ste Anne du petit Cap en L'annee 1663 ». Il s'agit d'un don qui se situe dans la moyenne des sommes rapportées par le registre de cette église (2).
D’autres phénomènes extraordinaires ont été observés en Nouvelle-France en 1663. Le père Lallemant, le rédacteur des Relations des jésuites, écrivait que, le 7 et le 14 janvier, trois soleils était apparus dans le ciel et que ce spectacle avait duré près de deux heures.
1. Relations des Jésuites 1656-1665 contenant ce qui s’est passé de plus remarquable dans les missions des Pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, tome 5, Montréal, Éditions du Jour, 1972, année 1663, p. 3-5.
2. Rapport des Archives du Québec, tome 45, Québec, 1968, p. 183.
vendredi 21 octobre 2011
Québec : le grand incendie de 1682
La prospérité économique de la ville de Québec subit un brusque arrêt au mois d'août 1682 non pas à cause d'une conjoncture économique difficile ou de plusieurs années de mauvaises récoltes mais parce qu'un gigantesque incendie détruit presque toute la Basse-Ville de Québec. Les religieuses de l'Hôtel-Dieu de Québec décrivent cette tragédie et rapportent que toutes les maisons de la Basse-Ville furent détruites à l'exception de celle de Charles Aubert de Lachesnaye (1).
Comme la rédactrice des Annales de l'Hôtel-Dieu a décrit ces faits plusieurs années après l'événement, il faut apporter une correction : l'incendie a débuté dans la soirée du 4 août pour se terminer le lendemain matin (2). De plus, il n’y a pas seulement la maison du sieur de Lachesnaye qui fut épargnée, La maison de Pierre Parent, rue Sault-au-Matelot, a aussi échappé aux flammes.
Quand le nouveau gouverneur Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre et l'intendant de Meulles débarquent à Québec en septembre, force leur est de reconnaître l'ampleur de la catastrophe (3).
Ainsi, le nouveau gouvernement est confronté à des situations d'urgence dont celle de rétablir une voie de communication entre la Basse-Ville et la Haute-Ville. Le gouverneur Lefebvre de La Barre est conscient de cette urgence et il écrit le 14 novembre 1682 : « Je vous marque icy l'incendie de la basse ville de Quebec dont j'ay deja eut l'honneur de vous escrire, il faut songer a faire restablir le chemin qui montant à la haute ville, c'est un ouvrage pour monsieur l'Intendant». (4)
Comme une forte concentration d'entrepôts de fournitures sont localisés à la Basse-Ville de Québec, plusieurs marchands ont subi de lourdes pertes. Conjugué à la reprise de la guerre avec les Iroquois, le déclin de la bonne fortune de Charles Aubert de Lachesnaye débuterait avec ce drame (5). D'ailleurs, le gouverneur Lefebvre de La Barre, associé à Aubert de Lachesnaye, le signale dans une lettre du 4 novembre 1683 adressée au ministre Colbert (6).
1. Les Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec 1636-1716, composées par les révérendes mères Marie-Jeanne-Françoise Juchereau de Saint-Ignace et Marie-André Duplessis de Sainte-Hélène, Québec, Hôtel-Dieu-de-Québec, 1984, p. 202-203.
2. Pierre-Georges Roy, « Les conflagrations à Québec sous le régime français », Bulletin des recherches historiques, vol. 31, no 3, 1925, p. 73.
3. Lettre de l’intendant de Meulles au ministre, Archives nationales du Canada, cote MG1-C11A, vol. 6, folio 79-80.
4. Pauline Dubé, La Nouvelle-France sous Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre. Lettres, mémoires, instructions et ordonnances, Sillery, Septentrion, 1993, p. 60.
5. Québec ville et capitale, sous la direction de Serge Courville et Robert Caron, collection « Atlas historique du Québec », Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2001, p. 82.
6. Pauline Dubé, op. cit., p. 108.
Extrait des Annales de l'Hôtel-Dieu
Le feu prit a une maison de la basse Ville, et comme elles etoient fort combustibles, nêtant bâtis que de bois, et la saison fort seche, le feu se communiqua si vite qu'en peu de temps toute la ville se trouva reduite en cendre, c'êtoit le 5e d'août, fete de Notre Dame des Neges, a dix heures du soir. Nous nous eveillâmes aux cris effroyables que nous entendîmes dans le voisinage, et nous ne fûmes pas peu allarmees de voir qu'il faisoit aussy clair chez nous qu'en plein midy […] Il n'y eût dans toute la Basse Ville que la maison de monsieur Aubert de la Chenaye qui fut sauvée de cet embrasement.
Comme la rédactrice des Annales de l'Hôtel-Dieu a décrit ces faits plusieurs années après l'événement, il faut apporter une correction : l'incendie a débuté dans la soirée du 4 août pour se terminer le lendemain matin (2). De plus, il n’y a pas seulement la maison du sieur de Lachesnaye qui fut épargnée, La maison de Pierre Parent, rue Sault-au-Matelot, a aussi échappé aux flammes.
Quand le nouveau gouverneur Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre et l'intendant de Meulles débarquent à Québec en septembre, force leur est de reconnaître l'ampleur de la catastrophe (3).
Lettre de l'intendant de Meulles au ministre du 6 octobre 1682
[…] apres soixante et dix huit jours de navigation nous Sommes arrives en Cette Ville ou nous avons trouvé une Consternation Universelle causée par Un incendie presque de toute la basse Ville de Quebek, on y compte Cinquante et tant de maisons bruslées dont la pluspart consistoient en grands magasisns qui Servoient pour descharger toutes les marchandises qui viennoient de France […].
Ainsi, le nouveau gouvernement est confronté à des situations d'urgence dont celle de rétablir une voie de communication entre la Basse-Ville et la Haute-Ville. Le gouverneur Lefebvre de La Barre est conscient de cette urgence et il écrit le 14 novembre 1682 : « Je vous marque icy l'incendie de la basse ville de Quebec dont j'ay deja eut l'honneur de vous escrire, il faut songer a faire restablir le chemin qui montant à la haute ville, c'est un ouvrage pour monsieur l'Intendant». (4)
Comme une forte concentration d'entrepôts de fournitures sont localisés à la Basse-Ville de Québec, plusieurs marchands ont subi de lourdes pertes. Conjugué à la reprise de la guerre avec les Iroquois, le déclin de la bonne fortune de Charles Aubert de Lachesnaye débuterait avec ce drame (5). D'ailleurs, le gouverneur Lefebvre de La Barre, associé à Aubert de Lachesnaye, le signale dans une lettre du 4 novembre 1683 adressée au ministre Colbert (6).
Lettre de Joseph-Antoine Lefebvre de La Barre à Colbert du 4 novembre 1683
Je suis conscience obligé de vous rendre compte des grands secours que le sieur de la Chesnayes rend au pays; l'incendie de la basse ville est presque réparée par le delay qu'il a donné à ses débiteurs et ce qu'il a pressé aux plus pauvres il avoit soustraitte cy devant des dettes de l'ancienne Compagnie de la ferme de Canada; ces Messieurs le pressent sans relâche et comme les effects subsistent toujours, il seroit bien juste qu'il plust a Sa Majesté de proroger le temps de ces payements de deux ou trois années afin que dedans la misere de ce grand accident il ne fut pas.
1. Les Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec 1636-1716, composées par les révérendes mères Marie-Jeanne-Françoise Juchereau de Saint-Ignace et Marie-André Duplessis de Sainte-Hélène, Québec, Hôtel-Dieu-de-Québec, 1984, p. 202-203.
2. Pierre-Georges Roy, « Les conflagrations à Québec sous le régime français », Bulletin des recherches historiques, vol. 31, no 3, 1925, p. 73.
3. Lettre de l’intendant de Meulles au ministre, Archives nationales du Canada, cote MG1-C11A, vol. 6, folio 79-80.
4. Pauline Dubé, La Nouvelle-France sous Joseph-Antoine Le Febvre de La Barre. Lettres, mémoires, instructions et ordonnances, Sillery, Septentrion, 1993, p. 60.
5. Québec ville et capitale, sous la direction de Serge Courville et Robert Caron, collection « Atlas historique du Québec », Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2001, p. 82.
6. Pauline Dubé, op. cit., p. 108.
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